Guitariste-Metal

Après une anecdote sympathique sur les cartes bancaires oubliées dans son atelier, le très en vogue luthier Sélestadien d’origine Vosgienne, Joël Gremillet, a bien voulu répondre à notre interview.

Salut Jöel. Peux-tu nous dire comment t’est venue l’envie de fabriquer des guitares ?

Je ne sais pas vraiment, plus jeune je jouais de la guitare mais j’aimais également bricoler… C’est simple, quand j’étais jeune, je démontais tout, je remontais tout.
En y pensant, je n’ai pas acheté la première guitare que j’ai possédée. Je l’ai récupérée mais avec la table cassée. Alors j’ai réparé la guitare moi-même.

Depuis combien de temps fabriques-tu des instruments ?

J’ai vraiment commencé à concevoir des instruments par moi-même en 1991. J’ai toujours fait des guitares électriques et désormais je commence à créer des guitares folks, mais ce n’est pas vraiment ma « spécialité ». Je préfère tout comme toi la guitare électrique, même si j’aime bien la  guitare classique, mais il manque quelque chose.

En moyenne quel est le temps requis pour la fabrication d’une guitare ?

Il faut compter environ une quarantaine d’heures selon le cahier des charges.

Avec quels bois préfères-tu travailler ?

Je préfère travailler avec l’érable, l’acajou, le palissandre ainsi qu’avec l’ébène. J’aime également le tilleul ainsi que le frêne qui est pas mal également !
Par contre je n’aime pas le son du peuplier, par contre je trouve que la Dragonne est un petit chef d’oeuvre qui sonne d’enfer d’ailleurs ! (ndlr : prototype en tilleul à 7 cordes créé par ses soins).

Par rapport au tilleul ça n’a rien à voir, le tilleul c’est claquant c’est brillant. Ce qui fait qu’on trouve un tilleul un peu partout en série c’est que c’est ce qu’on appelle un « bois blanc », c’est un bois qui n’est pas couteux pour faire simple. Généralement c’est ce que l’on appelle du trois plis, du contre-plaqué quoi !

Quels sont les bois que tu préfères et quels bois préconises-tu pour jouer du metal ?

Ahah, le tilleul ! Pour le metal, qui requiert une réponse franche et directe, le tilleul est au-dessus des sons et des qualités qu’on ne peut pas obtenir avec de l’acajou, qui lui possède des attaques plus rondes et amorties. Disons pour simplifier que le temps de réponse est différent, comme avec un amortisseur. Généralement dans le metal, on aime et privilégie les bois qui offrent de la réponse, c’est pour ça qu’on aime aussi beaucoup les micros actifs.
Pour revenir aux différents bois, l’aulne et le frêne offrent tous deux également de très bonnes sonorités. Le frêne de chez nous (en Europe) est lourd, mais en terme de son ce dernier est très bon !
Ensuite tu as le frêne des marais qui lui est un bois américain. Ce dernier est beaucoup plus léger, mais offre moins de brillance par rapport à nos bois européens.

Peux-tu nous dire si le poids du bois a une influence sur le son ? Une guitare légère sonnera-t-elle claquante comme une guitare lourde sonnera dense ? On a une idée fixe par rapport à l’acajou qui est un bois populaire au son très puissant mais qui est très lourd.

Je pense que c’est une fausse idée. Par exemple il existe des corps en sapelli, qui sont très lourds, mais qui sont également spécialement chauds et brillants. Le poids n’influence donc en rien le son d’une guitare.
Dans les années 80 on pensait qu’une guitare très lourde envoyait du bois alors qu’une guitare légère sonnait claquante. Pour avoir réalisé des tests avec différents micros et accastillages, avec une disto pour un son dans le type metal, je peux te confirmer que cette « légende » est erronée. J’en reviens toujours avec mon tilleul qui est un bois léger mais qui envoie le bois !

Tu équipes des micros NOS sur certaines de tes guitares, une marque bien de chez nous. Quelles sont les propriétés de ces micros et qu’ont-ils de différent de marques connues comme EMG, Seymour Duncan, DiMarzio ou encore BareKnuckle ?

Concernant les propriétés propres il faudrait demander plus d’informations au maitre des NOS, Gérard ! Ce que je peux te dire c’est que ses fils sont de bonne qualités et quand c’est bobiné main, je te fais pas un dessin !
Là où j’ai également pu voir une vraie différence entre un micro Seymour Duncan et un NOS c’est sur le split. C’est connu que tu n’as plus rien sur un Seymour Duncan lorsque tu splites.

Par contre j’apprécie Seymour Duncan car certains de leurs micros sonnent d’une manière chaude et puissante. Des micros comme le SH-4 ont fait leur renommée. C’est un micro incisif et Jeff Beck l’a utilisé, c’est pour cela qu’on l’appelle souvent ce micro le ‘JB’.

Quelle est la configuration que tu préfères pour tes guitares, en termes de diapason, du profil du manche, des micros et de accordage ?

Pour parler diapason je privilège le « standardisé » diapason de Fender en 25’5, soit 648mm, qui est un peu plus long que le diapason par défaut de chez Gibson. En termes de son et confort de jeu c’est ce que je préfère.
Concernant le profil de manche je ne crée pas des gabarits en U ou C et compagnie, sauf si on me le demande spécifiquement où là je suis obligé de le faire.
Ma seule règle pour concevoir un manche c’est d’avoir 20mm à la 1ère case et 22mm à la 12ème case. C’est ce que je préfère, c’est relativement plat et pas trop rond. Personnellement je n’aime pas les manches plus épais.

Quelles sont les critères qui t’importent le plus lorsque tu fabriques une guitare ?

La qualité bien entendu est la première chose qui me vienne à l’esprit ! Il y a également le bois sélectionné, quand on en parle c’est le luthier qui choisit ses bois. Lorsque je dois choisir une table en érable flammée, c’est moi qui choisis le bois, je ne choisis pas une table au hasard mais fais une sélection.

Généralement, et la plupart du temps, je prends directement des planches pour le corps et le manche, je regarde la coupe du bois selon cette dernière, je sélectionne ensuite le bois.

Par exemple, selon moi, la meilleure coupe pour les manches c’est sur du quartier. Sur de la coupe de quartier, les vibrations passent dix fois mieux que si la coupe avait été faite sur le dosse. Et pour cela il te faut un bon morceau d’érable vu qu’il n’y a pas beaucoup de quartier. Du coup il y a beaucoup de chutes.

C’est pour cela qu’une guitare de série sera souvent en coupe sur le dosse car le coût n’est pas très élevé, et de temps en temps ils en feront une en quartier par hasard.
Les potards également doivent être de qualité, c’est à dire qu’ils ne doivent pas craquer par exemple. Et pour les micros, évidemment, on sélectionne tout de A à Z, ce qui nous permet d’être sûrs de la qualité.

Quelles sont les commandes les plus fréquentes ?

Les copies. En fait, généralement les clients viennent avec une idée précise en tête mais qu’ils ne peuvent pas avoir avec une guitare en série à cause d’un petit détail. Cela permet d’avoir une custom made à un prix moins coûteux généralement et ils peuvent également établir leur propre cahier des charges.

Quels conseils pourrais-tu donner à une personne voulant se lancer dans la lutherie ?

Il pourrait commencer par fabriquer sa propre guitare ! Il peut également aller voir des luthiers comme Xavier Petit, qui met en place des stages, qui sont coûteux, mais il ne faut pas oublier que l’on travaille sa guitare avec un professionnel. L’inconvénient global est qu’il y a très peu de luthier qui propose ce type de service et qu’il faut généralement ne pas hésiter à se déplacer.
Il faut également réellement franchir le pas, s’intéresser à l’instrument et ne pas avoir peur de démonter un micro ou un manche, puis de le remonter ensuite. On fera bien évidemment des erreurs mais si on peut demander conseil alors les choses se remettent en ordre.
Personnellement j’ai commencé à faire des modifications et des guitares sans schémas vu qu’internet n’était pas encore là. J’ai pris des cotes de guitare déjà existantes et j’ai commencé à faire des copies.

Comment se déroule le processus de commande dans ton atelier ?

Il faut tout d’abord parler de son projet, voir si oui ou non je suis en mesure de le réaliser, et vient alors le devis. Le tarif pour une guitare de base est de 1200€ mais le tarif peut également monter à 2500€ si le client désire que l’on ajoute un Evertune ou des incrustations en nacre découpées à la main par exemple. Ce genre de prestation coûte très cher et influence donc forcément le tarif.

Bien souvent les clients s’en contre fichent, personnellement je sous-traite ce genre de tâche, la découpe est faite de manière numérique car la procédure est plus rapide et moins onéreuse.

Mais effectivement, on peut réaliser ce type de prestation à la main, l’inconvénient est que le temps de fabrication est du coup bien plus long ! Au lieu de passer 40h à fabriquer une guitare, il en faudra 80 ou 90.
Si tu te loupes sur une incrustation elle aura par de fait un petit joint et ce sera moche. On trouve des défauts partout même sur les incrustations numériques… Mais lorsque tu les fais à la main tu ne peux pas te le permettre, il faut que ce soit parfait, et par conséquent cela prend énormément de temps.

Quels sont tes délais pour fabriquer une guitare ?

J’essaye actuellement de me tenir à un délai de 6 mois. Selon mon travail, cette durée peut monter à 8 mois mais je vais essayer de m’en tenir à un délai de 6 mois. Je ne suis pas encore en mesure de réaliser une guitare en 4 mois, sauf si je ne fais que des guitares dont j’ai tous les gabarits, qui soient vraiment entrée de gamme, ça peut se faire mais ça serait différent.

A partir de quel budget peut-on envisager de faire appel à un luthier ?

Je pense que l’on peut faire appel à un luthier lorsque le budget est aux environs de 1500€. Quitte à rajouter 100 ou 200€ en plus quand on a dessiné sa tête comme toi par exemple. Cependant il ne faut pas s’attendre à payer une guitare entre 800 ou 900€ si on veut une guitare digne de ce nom, ça reste de l’artisanat. Je pense donc qu’un budget de 1500€ est une bonne base pour un travail bien complet.

Est-ce qu’un bon ampli et un bon micro suffisent à masquer les défauts d’une guitare de basse qualité ?

Non. Certes, avoir un bon ampli et un bon micro masque un peu les faiblesses de la guitare, ce qui est logique, mais ton son ne s’améliorera jamais réellement car ton bois n’a pas été sélectionné comme il aurait dû l’être, sans compter que le bois a dû être séché artificiellement. Et cela entraine forcement une grosse différence, ça s’entend surtout sur les guitares acoustiques, mais aussi sur les guitares électriques.
Cependant il faut savoir que le son se bonifie avec le temps, comme un bon vin. Même si j’étais assez sceptique au début concernant le vieillissement du bois, j’ai pu me rendre compte qu’une guitare créée sonnait mieux deux années plus tard et là tu deviens donc convaincu !
Parfois il peut t’arriver de créer des guitares dont tu es déçu du résultat sonore après assemblage, mais cela est uniquement dû car le bois est trop jeune…

Des marques comme BC Rich, Jackson ou encore LTD/ESP sont spécialisées dans les guitares du registre Metal et Rock. Penses-tu que leurs images de marque permettent de créer la vente et non la qualité de leurs instruments ?

C’est une évidence oui. Ce qui se passe souvent c’est que ces marques-là, à la base, étaient composées de luthiers de qualité, mais de fils en aiguilles ils sont devenus une grosse marque. Ces guitares sont donc devenues des guitares de série.

Ce qui se vend en premier est évidemment la marque, par contre si tu te diriges dans une guitare du Custom Shop de chez Gibson tu auras alors une guitare de qualité. Toutefois tu auras dépensé un budget plus conséquent que si tu étais passé par un luthier.
Sans compter que si tu en désires une en table érable ondé de qualité AAAA ou AAAAA, chez Gibson ou PRS, le budget est alors proche de 4000 à 5000€.
Evidemment, tu auras ta super table mais cependant ce n’est pas aussi cher que cela au final, ça doit valoir aux environs de 200€.

Mis à part le fait qu’une guitare créée de toute pièce par un luthier est unique, que pourrais-tu avancer comme arguments à une personne qui hésite à franchir le pas ?

C’est très difficile à dire parce que c’est toujours une décision personnelle. J’ai déjà eu dans les mains une ESP Japan et c’est du sacré travail. Tu peux toujours demander à ton luthier d’avoir un instrument équivalent, ce sera peut-être plus ou moins cher, à voir selon le cas.

Si la guitare est magnifique, et qu’elle n’est pas trop onéreuse, avec de beaux bois et tout le reste qui suit, alors oui cette guitare vaut le coup.

Une machine bien calibrée qui produit toujours la même chose réalise donc du bon travail, la réalisation est bonne, par exemple les finitions sont toujours ou presque nickel. Par défaut, guitare de série ne veut pas signifier mauvaise guitare, on peut également avoir une guitare de série qui soit de qualité !
C’est peut être barbare mais dans l’industrie, lorsqu’il y a un défaut, les guitares sont coupées en deux et jetées. T’imagine la PRS avec la table AAAAA en train de servir à alimenter un barbecue ?

Peux-tu nous dire quelles sont les mesures à prendre dans le temps afin de conserver au mieux sa guitare ?

Il faut en prendre soin, l’essuyer, retirer la poussière mais également décrasser la touche. Je pense qu’il faut décrasser la touche environ une fois par an. Si tu ne le fais pas, sur le temps cela altérera le son de la guitare car il y aura des micros particules imprégnées dessus.

Par exemple tu peux passer légèrement avec une fibre de fer contre ta touche, cela permettra de retirer toute la poussière et compagnie. Attention à ne pas trop le faire par contre.
Pour ce qui est des mécaniques, j’utilise beaucoup un blaireau de rasage. Il a le bénéfice de permettre d’accéder à des endroits plus difficiles d’accès comme les micros ou le chevalet.

Merci à Joël Gremillet d’avoir répondu à cette interview et à Grégoire de l’avoir réalisée !

N’hésitez pas à visiter sa boutique située à Rue Antoine Jeanjean, 67600 à Sélestat.

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