Vaerohn, tête pensante de son one man band, Pensées Nocturnes, nous présente sa formation et son évolution, suite à la sortie du 6ème opus intitulé “Grand Guignol Orchestra”.
Bonjour Vaerohn ! Merci de bien vouloir nous accorder cette interview. Rentrons dans le vif du sujet, pourrais-tu nous décrire l’histoire de ta création, Pensées Nocturnes ?
Débuté en 2008, Pensées Nocturnes est initialement un projet solo. Ce n’est qu’en 2017 que d’autres membres ont rejoint le projet pour les lives, le studio restant pour le moment un travail majoritairement solitaire. Le projet s’autorise toutes les libertés possibles et imaginables pour peu qu’une matière cohérente et logique résulte de ce travail. De nombreux instruments et des influences diverses sont ainsi employés pour obtenir des effets relativement exotiques pour une musique ayant pour racine le Black Metal.
La dernière sortie, Grand Guignol Orchestra, est le 6ème album de Pensées Nocturnes et développe une ambiance de cirque maudit.
Quels sont les albums qui ont eu un impact sur ta carrière de musicien et qui t’ont poussé à composer ?
Alors pèle-mèle et trop succinctement, uniquement les albums liés à la composition de Pensées Nocturnes : Diapsiquir – Anti, Arkhon Infaustus-Orthodoxyn, Peste Noire – L’ordure à l’état pur, Deathspell Omega – Paracletus, UneXpect – In a Flesh Aquarium, Circus contraption – Tout, Prokofiev – 3ème symphonie, Shostakovitch – 1er concerto pour violoncelle, Stravinsky – Sacre du printemps, Vald – Xeu, Verdi – Requiem, John Williams – Return Of The Jedi.
Comme tu l’as dit, Grand Guignol Orchestra est le 6ème album de Pensées Nocturnes. Quand as-tu commencé la composition de l’album et quel fut le mot d’ordre principal ? D’ailleurs, quelles sont tes méthodes de composition ?
La composition de GGO remonte à plus de trois ans. A l’inverse des précédents opus dans lesquels le concept du cirque était subtilement insinué, cette production assume pleinement cette influence tant musicalement qu’au niveau de l’imagerie. Y fourmillent également des cuivres en tout genre et le chant a été travaillé au pied à coulisse avec de multiples variantes. C’est à ce jour le meilleur album de Pensées Nocturnes.
Concernant la composition, je dirais que la trame des morceaux est en générale définie par la place qu’ils tiennent dans l’album mais que les détails sont eux pensés secondairement, durant la composition : un peu comme un peintre tracerait les gros traits de son tableau avant d’emprunter les pointes fines.
Pour schématiser la destination est connue mais pas forcément les chemins à emprunter, le parcours se dessinant au fur et à mesure.
L’expérimentation étant prédominante dans Pensées Nocturnes, il est pratiquement impossible de savoir à quoi ressemblera un morceau et c’est d’ailleurs tout ce qui fait le charme du projet : le fond est déjà pensé, ne reste plus qu’à lui trouver la forme la plus adéquate.
Pour GGO par exemple, avec des passages datant de plus de trois ans, j’ai dû pétrir, travailler, retoucher et remodeler sans arrêt les différents passages.
Pensées Nocturnes est une pâte feuilletée que je ne cesse de plier, les couches s’empilent et s’additionnent sans répit. Jamais un morceau ne tombe du ciel tout cru, tout est le résultat d’un travail de tous les instants.
La conséquence en est une densité certaine mais également un contrôle parfait de chaque détail. Tout est traité, jaugé, écouté et réécouté des dizaines de fois.
Sauf erreur de notre part, cette fois l’enregistrement a été externalisé. Pourrais-tu nous dire comment s’est passé l’enregistrement, avec quel matériel et qui en fut chargé ?
A l’exception de la batterie et de quelques pistes de chant tout a été enregistré chez moi par mes soins (chants, guitares, vents et cuivres, accordéon, etc…). Le reamping et le mixage ont, quant à eux, été réalisés au Henosis studio.
La souplesse qu’offre la liberté d’enregistrer à tout moment pour saisir l’idée du moment ou bien de revenir sans arrêt sur les éléments déjà travaillés est indispensable au travail de composition pour Pensées Nocturnes. Le but n’étant clairement pas d’obtenir l’interprétation parfaite de chaque passage car Pensées Nocturnes aime à humaniser le jeu et à conserver les one shoots un peu bancals, mais bien de prendre le recul nécessaire afin d’éprouver comme il se doit les essais créatifs.
Je suis trop peu équipé en terme d’enregistrement : quelques micros basiques (SM57, SM58, 421,…), un caisson acoustique et une carte son Audient ID44 suffisent à satisfaire mes besoins.
Le tout numérique te fait-il peur ou, au contraire, est-ce une aubaine ?
Que cela soit en studio ou en live, Pensées Nocturnes a toujours cherché à humaniser le jeu et le rendu. On cherche la chaleur, l’organique, les défauts, il faut que ça bave, que ça dépasse du trait. Le numérique par sa facilité écarte petit à petit cet aspect et débouche sur des productions lourdes, carrées, avec un gros son. Ce qui est à l’extrême opposé de la démarche de Pensées Nocturnes. Il ne me fait pas peur, il faut de toute façon composer avec. Mais je préfère garder mes distances.
Par ailleurs, j’ai eu vent que tous les instruments, mise à part la batterie, sont passés entre tes mains. La guitare reste-t-elle ton instrument « favori », ou au contraire, trouves-tu qu’elle bride à la création de ton univers ?
La guitare comme le piano restent des instruments privilégiés pour la composition de par la facilité à improviser des harmoniques et des arrangements. J’en ai donc toujours une à portée de main lorsque je travaille sur la composition.
Néanmoins je focalise principalement mon attention quotidienne sur les cuivres qui sont beaucoup plus difficiles à travailler et à entretenir.
Pour les structures principales la guitare est donc employée, pour tout le reste chaque instrument est utilisé et usé jusqu’à trouver l’arrangement parfait. Beaucoup de prises d’impro sont donc conservées pour le mix.
Pourrais-tu nous parler de ton matériel en tant que guitariste ?
Eu égard à ma réponse précédente tu comprendras que la recherche de la perfection, y compris dans le son, est bien loin d’être ma priorité. Je privilégie bien plus l’intention, la démarche, le concept, la présence et l’idée plutôt que la chirurgie sonore.
En terme d’équipement, j’ai choisi d’orienter mes investissements vers une multiplicité instruments divers et variés plutôt que dans un package sérieux pour guitare. Je travaille principalement sur une guitare Lag relativement basique directement branchée sur carte son.
Les paroles de ce dernier album sont brut, mais également misent en avant dans des tournures plus ou moins subtiles, qui rajoutent une couche de complexité. Est-ce que la lecture est un champ d’inspiration à tes yeux ? Comment se déroule l’écriture de tes paroles ?
C’est un travail de tous les jours. Il s’agit de noter des idées, des ambiances, des jeux de mots et contrastes pour ensuite les assembler en un ensemble cohérent. L’inspiration peut donc en effet venir d’une lecture mais également d’une émission de radio, d’une conversation dans la rue… Je prends des notes tous les jours et ressort ces idées parfois des années plus tard. Il faut que les concepts mûrissent.
Au travers du chant, on note différents sentiments sur cet album, notamment grandiloquent sur le titre «Poil de lune», à torturé sur «Deux bals dans la tête». Le chant est-il devenu plus important à tes yeux sur cet album, par rapport aux précédents ?
J’ai toujours cherché à développer et diversifier mon chant ainsi qu’à développer l’apport de voix extérieures très différentes. C’est un instrument qui offre un panel de possibilités extrêmement vaste et exprime de façon évidemment plus précise que les autres les émotions.
Toutes ces variations sont également un moyen d’éviter l’ennui que l’on peut ressentir chez des chanteurs monotones, comme dans le death metal par exemple où l’on produit très souvent un unique type de chant.
Enfin, elles permettent d’incarner un nombre de personnages extrêmement divers et offre ainsi un travail de théâtralisation de la musique tant choyé.
Le premier contact avec l’album est sa pochette, mettant en avant un clown malfaisant, batte de baseball à la main, avec un cirque en fond, entouré de drapeaux à l’effigie de ta formation. Un style très différent par rapport aux anciennes pochettes, comme pour marquer une cassure. Qui s’est chargé de l’artwork et quel message veux-tu faire passer ?
L’artwork de GGO a été réalisé par Cäme Roy de Rat et il s’agit de notre 3ème collaboration puisqu’il a déjà réalisé l’artwork de “Nom d’une Pipe !” et celui de “A Boire et A Manger”.
Nous parvenons à travailler en véritable osmose car Cäme a cette capacité à s’intégrer dans le projet en s’imprégnant des particularités de chaque album. Il parvient à intégrer les idées et directions que je lui donne tout en conservant son style.
A l’opposé des précédents opus dans lesquels le concept du cirque était subtilement insinué, cette production assume pleinement cette influence tant musicalement qu’au niveau de l’imagerie. Il s’agissait donc évidemment d’assumer pleinement cette coupure en affichant une tête de clown sur un album de metal.
« Déglingué black metal de ver en vice since 2009 » est mentionnée également. Toi qui n’aimes pas les étiquettes, ne viens-tu pas justement de t’en assigner une ?
Tout est fait pour qu’aucune étiquette ne puisse coller à l’image du projet tant d’un point de vue musical, que visuel, artistique ou conceptuel. Pensées Nocturnes pioche dans énormément de styles différents, et souvent mêmes contradictoires, pour forger une identité qui lui est propre. Néanmoins pour éluder cette sempiternelle question du style j’ai effectivement pour habitude de qualifier bassement ce projet de « Déglingué Black Metal ». Ce qui ne décrit que trop vaguement la musique mais convient tout de même à la démarche générale du projet.
En regardant justement en arrière, et tes albums précédents, peux-tu nous faire part de tes sentiments, et les décrire, un par un ?
- Vacuum est l’œuvre d’un être en perdition, un brouillon de débutant qui aurait dû rester dans le tiroir.
- Grotesque commence à pointer l’issue, la lumière, par une pointe de créativité et une maîtrise technique un peu plus élevée
- Ceci est de la Musique est une réponse abrupte mais artistique à ce monde de sangsues gâtées pourries et sans fierté qui emplissent la toile aujourd’hui. Artistiquement dans lignée de Grotesque
- Nom d’une Pipe ! est un bond dans le, bon, sens de l’avant-garde mais légèrement surdosé et difficilement saisissable en totalité. La musique accompagnant un récit surréaliste.
- A boire est à Manger une tentative de redresser la barre mais bien trop timide qui aurait été compensée par une meilleure production
- Grand Guignol Orchestra est la parfaite symbiose de tous ces éléments, l’atteinte du juste milieu entre l’ancien, la tradition et la création. La maîtrise technique des instruments, de la composition, de l’enregistrement, etc… se développant à mesure de la production de ces opus, le champ des possibilités est également mécaniquement décuplé avec le développement du projet et sert cette recherche de l’inédit. Et ce sans être une fin en soi, piège dans lequel tombent malheureusement la majorité des formations.
A la sortie de Grotesque tu as dis détester Vacuum pour son côté trop simpliste, est-ce toujours le cas pour cet album en particulier ?
Une oeuvre est toujours à l’image de l’artiste qui la compose, d’un point de vue culturel et technique évidemment mais aussi au niveau du plan des ambiances et émotions. Vacuum, est l’oeuvre d’une personne en recherche de définition de soi, des autres, il est l’expression d’un profond vide d’un être qui ressentait le besoin d’extérioriser puérilement ce sentiment.
Aujourd’hui j’ai clairement honte de cet album, beaucoup trop faible et pleurnichard, il m’est impossible de l’assumer. En grandissant on prend conscience du fait que les gens suivent ceux envers qui ils ont un intérêt, les leaders, les puissants, les gens forts, souriant et en bonne santé.
Ainsi, quitte à vivre, je trouve la réponse à ce vide existentiel dans le rire, la moquerie, la destruction des certitudes ancrées. Mais sans pour autant perdre de vue l’aspect vain de tout cela finalement, car on finira tous dans le même trou. D’où le fait que Pensées Nocturnes ait perdu depuis ces années l’étiquette de DSBM, tout en conservant malgré tout quelques bribes de ce genre ci est là.
Tu étais réfractaire à te produire sur scène il y a dix ans, et les choses ont changés en 2017. Vois-tu les concerts comme un exutoire, ou as-tu encore du mal à te détacher totalement ?
Après 5 albums studio le projet avait besoin de prendre une autre dimension et de trancher les langues en prouvant que la complexité des compositions n’est pas inhérente à un projet studio mais peut aisément se produire en live avec des musiciens dignes de ce nom.
Je tenais également à taquiner d’une autre manière un public bien trop ancré dans ses habitudes en cassant ce clivage avec le groupe ainsi que cette idée de vouloir absolument jouer les morceaux conformément l’enregistrement studio.
La musique de Pensées Nocturnes vit tous les jours, avec beaucoup d’improvisation, d’inventions incessantes, des renouvellement qui font que la routine ne s’installera pas.
La mise en scène est importante, et tu mets en avant un style vestimentaire, avec ses propres codes. Aimerais-tu, à l’instar de Arcturus, rajouter des danseurs / comédiens, afin de faire de même ?
C’est clairement la démarche que l’on a choisie pour le live et qui permet de marquer à ce point le public. Il reste encore beaucoup d’idées à développer et l’aspect bassement financier est un frein évident à cette démarche mais nous travaillons dans ce sens, essayons beaucoup de choses et gardons les effets qui nous semblent marquants. Il est évident qu’avec le temps nous nous rapprocherons de ce type de prestation.
Mais les choses n’ont nul besoin d’être précipitées.
L’album étant sorti il y a maintenant deux mois, et une release party ayant eu lieu, quels sont les retours que tu as pu avoir à ce jour ?
GGO est beaucoup plus travaillé et plus abouti d’un point de vue du son mais aussi vis-à-vis de la cohérence conceptuelle et de l’imagerie.
Cette évolution transparaît dans les retours reçus car même si Pensées Nocturnes reste un projet ovni, les auditeurs ont plus de facilité à s’emparer du projet. C’est également la première sortie accompagnée de concert ce qui change radicalement la donne en termes d’échange et de visibilité.
Cet album marque également un anniversaire particulier, celui des dix ans de collaboration avec Les Acteurs de l’Ombre. Le label, autant que Pensées Nocturnes, ont évolués. Vos liens sont-ils devenus plus fort et penses-tu que LADLO a contribué à l’évolution actuelle de Pensées Nocturnes ?
Gérald, le président de LADLO prod, est une proche connaissance et il nous a semblé naturel de débuter l’aventure ensemble il y a 10 ans : les deux premières sorties de Ladlo sont en effet les deux premiers albums de Pensées Nocturnes. Ladlo a clairement contribué a faire de Pensées Nocturnes ce qu’il est aujourd’hui.
Nos chemins se sont un brin éloignés pour ABEAM ensuite avec l’orientation de Ladlo vers les branches plus modernes du black metal, Pensées Nocturnes restant lui ancré dans le passé. Il a néanmoins été tout à fait naturel de travailler à nouveau ensemble sur GGO.
Dans l’évolution de Pensées Nocturnes, serait-il possible d’imaginer que le «one man band» devienne une formation avec les membres inconnus participants aux concerts, et que ces derniers participent à la composition ?
Le studio restera pour le moment un effort principalement solitaire, suivi ensuite d’un gros travail de réécriture pour permettre l’adaptation pour le live. Cette démarche permet de ne pas compromettre la composition en raison de l’évolution live car c’est à mon sens ce qui castre aujourd’hui toutes les formations classiques et aseptise les tonnes de productions pondues tous les jours.
Vouloir se cantonner à composer pour le live stérilise la créativité et invite beaucoup trop à se vautrer dans la facilité pour pouvoir être digne d’écoute. Il est largement préférable de travailler à retranscrire une compo injouable, d’autant que l’exercice est rendu assez excitant lorsque les musiciens sont prompts à improviser.
Nous jouons par exemple déjà plusieurs morceaux de GGO en live. Néanmoins en opposition avec nos confrères et les attentes du public metal en général, nous ne recherchons pas une retranscription fidèle du studio sur scène avec l’usage de samples ou autres artifices surannés mais bien une adaptation libre et fluide.
L’album étant sorti, quels sont les plans pour 2019 et un horizon plus lointain ?
Il faut avouer que les concerts restent notre principale occupation en ce moment. Une tournée est notamment en cours de préparation pour le mois d’octobre.
Nous avons également un projet de clip en tête mais le concept imaginé requiert énormément de moyens et nous sommes pour le moment stoppés à cette phase de réflexion.
En tant que membre actif de la scène metal française, trouves-tu que cette dernière a été en mesure d’évoluer et de créer ses propres codes ?
On me pose souvent la question de cette particularité des groupes français à sortir du lot en me demandant s’il n’y a pas quelque chose qui débouche sur cette singularité. On me parle de Blut Aus Nord, Diapsiquir, Peste Noire, etc…. Mais au final on ne se côtoie pas et nos styles n’ont rien à voir entre eux : musicalement on ne se ressemble pas du tout.
C’est plus la démarche, la créativité qui pourraient être rapprochées mais je ne vois pas vraiment le lien avec notre nationalité. D’autant qu’il s’agit de quelques perles parmi amas de groupe bateau vraiment communs. Le Black Metal à la française n’aurait donc vraiment aucune signification à mon sens.
Beaucoup mettent la première et seconde vague de black metal sur un pied d’estal. Es-tu également nostalgique de cette époque, où le laboratoire scandinave tentait des approches différentes, ou penses-tu que la scène de BM a eu du mal à atteindre une certaine maturité ?
J’ai beaucoup de mal à suivre l’évolution de la scène BM sans sombrer dans un profond ennui. Trop rares sont les formations capables d’apporter un véritable souffle de renouveau sur la scène étant pour ma part sans cesse à la recherche de nouveau, de combinaisons illicites, de styles novateurs, de démarches provocatrices, de mélanges perturbants,… J’ai donc beaucoup de mal à échanger sur des époques déjà mortes et enterrées.
Nous te remercions pour ton temps. Un dernier mot avant de clore cette interview ?
Merci à toi pour ton temps et tes recherches. Bonne continuation.
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